ANNE WANNER'S Textiles in History / Iindiennage Suisse

Le développement de l'indiennage en Suisse, dans: Le Coton et la Mode, 1000 ans d'aventures, 10 novembre 2000 - 11 mars 2001, Paris 2000, p.74 - 83, par Anne Wanner-JeanRichard

 
  Préambule

Depuis la Contre-Réforme au XVIe siècle les réfugiés religieux étrangers stimulent diversement l'économie helvétique.
Les premiers, venus d'Italie, introduisent les soieries et la futaine à Zurich et Genève. Le réformateur Calvin se montre ouvert aux nouvelles activités. D'autant plus qu'il entend combattre le chômage dans sa ville. Les corporations, qui auraient pu interdire ces activités, sont inexistantes et les étrangers obtiennent rapidement la citoyenneté suisse. La révocation de l'édit de Nantes, en 1685, provoque une nouvelle arrivée d'émigrés. Ville protestante francophone, Genève exerce une certaine attraction. Mais ses relations avec la France en sont altérées et de nombreux Réformés en sont refoulés. Neuchâtel, par contre, bien qu'alliée de la Suisse, appartient à la Prusse depuis le début du XVIIIe siècle. La Lettre de naturalisation du 31 décembre 1709 accorde à tous les Huguenots les mêmes privilèges qu'aux sujets du roi de Prusse.

 

L'interdiction du roi de France, en 1686, d'importer, d'imprimer et de porter des cotonnades a des conséquences considérables. Jusqu'à son abolition en 1759, elle favorise l'indiennage dans l'arc jurassien hors de France: à Genève, Neuchâtel, Bâle et Mulhouse. Depuis quelques années déjà, les marchands de Suisse orientale utilisent les voies commerciales connues pour écouler leurs tissus de lin. À ces fins, ils s'efforcent d'obtenir des conditions d'importation favorables à leurs produits. Il leur faut constamment défendre les allègements douaniers et fiscaux que la France accorde aux textiles suisses depuis 1516. Leurs balles de lin, envoyées à Lyon où sont entreposés les produits pour le sud de la France, transitent par Genève. Les marchands saint-gallois disposent de comptoirs à Lyon. À la faveur de ces voies de contact, ils commercialisent de plus en plus de cotonnades au XVIIIe siècle.
       
 
  Les manufactures d'indiennes en Suisse

Les premières manufactures d'indiennes apparaissent à Genève dix ans avant la révocation de l'édit de Nantes. Il semble que des marchands genevois les aient incitées à venir s'établir sur les bords du lac Léman. Après 1685, des réfugiés protestants s'installent en Suisse. Parmi eux, Daniel Vasserot, un marchand du Queyras, dans le Dauphiné, s'établit à Genève en 1691 et s'allie à son neuveu au début du siècle suivant. La famille Fazy, plus particulièrement l'entreprise fondée par Jean Fazy (1708-1744) en 1728 aux Bergues, connaît un vif succès parmi les imprimeurs d'étoffes de cette ville.

Dans le canton de Neuchâtel, le premier atelier d'indiennage est celui de Jean Labram, originaire de Chézard (Val-de-Ruz), et qui avait fait son apprentissage auprès de la maison Vieux et Michel à Genève. En 1688, un certain Jacques Deluze, originaire de Chalais en Saintonge, s'installe à Neuchâtel où il épouse une fille du pays. Il a apporté certaines recettes hollandaises pour teindre et décorer les toiles à la façon des indiennes et des perses. Son fils, Jean-Jacques Deluze, s'associe avec Labram, qui transfère son atelier près de la rivière Areuse à Boudry, en 1720. En 1734, J.-J. Deluze ourve sa propre entreprise dans les environs de Colombier, sur les bords du lac de Neuchâtel.
Claude-Abram Du Pasquier, qui y dirige la fabrication, crée à Cortaillod en 1752 la Fabrique Neuve, dont le marchand Jacques-Louis Pourtalès (1722-1814) prend ensuite la direction. La nouvelle manufacture sera à la fin du XVIIIe siècle la plus grande imprimerie d'indiennes en Suisse.
Mais la Suisse compte également toute une série d'ateliers plus modestes. Ceux de Roemer et Kitt à Zuerich, ou de Kuepfer à Berne, voient le jour au début

  du XVIIIe siècle. À Bâle, Samuel Ryhiner (1696-1757) érige une fabrique d'indiennes en 1716. Il a appris le métier aux Pays-Bas. Il forme à son tour Christophe Philipe Oberkampf (1738-1815), qui séjourne avec son père à Bâle de 1750 à 1752.
Le premier fonde ensuite son propre atelier dans le canton d'Argovie; le second en fait de même à Jouy-en-Josas, près de Versailles, en 1760. En effet, la France, où l'interdiction d'imprimer est abolie en 1759, y attire de nombreux fabricants.

En Suisse orientale, où maints ateliers impriment le lin selon des méthodes artisanales, les nouvelles techniques d'impression et de teinture rencontrent un grand succès. Il semble qu'un coloriste de la famille Fazy de Genève installe des cuves à indigo pour le compte de Johann Heinrich Sreiff (1709-1780) à Glaris. En 1740, Streiff perfectionne en Hollande ses connaissances du bleu. Son neveu, Fridolin Streiff (1739-1817), apprend l'art d'imprimer à Bâle. Daniel Merz (1715-1777), quant à lui, ouvre une imprimerie textile à Herisau en 1737. Un de ses fils embrasse la profession de graveur sur bois à Neuchâtel, un autre agrandit l'entreprise paternelle à Herisau qu'il nomme Neue Fabrik. Le Thurgovien Bernhard Greuter (1745-1822) tente de dévoiler les recettes de la maison Streiff qui s'est fait une réputation dans la teinture à l'indigo. Surpris, il doit fuir et s'installe chez D. Merz à Herisau, où il se consacre à des essais.
En fait, les manufacturiers suisses cherchent à éviter la technique de l'impression à la réserve, préférant appliquer les couleurs, en particulier le bleu, directement sur les tissus, soit par impression, soit au pinceau. Ainsi, pendant qu'à Genève, J.Fazy se spécialise dans la teinture indigo en cuves, la première application de bleu au pinceau est probablement effectuée à Neuchâtel.

   
 
 

J.-J. Deluze (1728-1779),
collection H. de Bosset, Le Bied

 

Jean Fazy (1708-1744)
par Jean Preudhomme (1732-1795)

       
 

Fragment de toile, seconde moitié du XVIII siècle. Toile de coton, impression à la planche de bois. Genève, manufacture Malvesin, Genève musée d'Art et d'Histoire, Inv. AA 1999-74

 

Fragment de toile, première moitié du XVIII siècle. Impression à la réserve à la planche de bois, teinture à l'indigo. Genève, manufacture Audra Frères, Genève musée d'Art et d'Histoire, Inv. AA 1999-75

       
 

Samuel Ryhiner (1696-1757), collection privée Kiel

 

Bernhard Greuter (1745-1822),
litographie de Joseph Brodtmann,
après un dessin de M. Hausmann.

 
  Le commerce et les marchands

La production d'indiennes exige de grandes quantités d'eau et des ateliers spacieux. Le blanchissage, le lavage, la teinture et l'impression peuvent durer des mois. Aussi, ces tâches sont de plus en plus confiées à des manufactures polyvalentes.
Simultanément, la collaboration entre marchands et fabricants s'accroît. Les premiers veillent aux approvisionnements des seconds, puis se chargent de vendre voire d'exporter la production.

À Neuchâtel, la famille de marchands Pourtalès joue un rôle important. Jérémie Pourtalès, émigré du Languedoc en 1720, s'associe à J.-J. Deluze dont il épouse la fille. Son fils Jacques-Louis s'initie au commerce à Londres, travaille pour J.-J. Deluze dès 1741 et devient copropriétaire de la Fabrique Neuve. Il contribue à l'extension rapide du marché des indiennes en Europe. Ses contemporains l'appellent "le roi des négociants".

Outre des colorants, les marchands procurent aux manufactures des tissus. Hormis le fait que les deux tiers des étoffes transformées à Neuchâtel sont fabriquées en Suisse (1) , il existe peu de documents sur leur provenance. En Suisse orientale, le réfugié Peter Bion, qui s'établit à Staint-Gall en 1707, est le premier à tisser de la futaine en 1721. Les origines du tissage du coton dans la région saint-galloise remonte à 1747. Au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, celui de la mousseline fine est une spécialité dont s'enorgueillissent les Appenzellois des Rhodes-Extérieures: on le pratique surtout à Herisau.

  Parmi d'autres marchands de Suisse orientale, ceux de la lignée Zellweger à Trogen (2) contribuent étroitement à étendre le négoce du lin à celui du coton et à diffuser les produits dans toute l'Europe. Les Zellweger se vouent exclusivement à l'écoulement des marchandises et ne participent pas à la fabrication. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la maison Zellweger commercialise des cotonnades fines, du drap en coton blanc et des indiennes imprimées (3). La plupart des textures fines de son assortiment proviennent de Herisau, les qualités plus grossières, de Zurich et Aarau. Toutes sont imprimées à Bâle, Mulhouse et Genève.

Les Zellweger traitent non seulement avec des imprimeurs de Suisse orientale, onze de 1762 à 1769, puis trente-deux entre 1774 et 1780 (4), mais également avec des imprimeurs de Zurich, Lenzbourg, Neuchâtel et même Lörrach.

La qualité et les prix raisonnables des produits sont scrupuleusement contrôlés. Le siège de l'entreprise à Trogen et ses correspondants à Lyon, plus tard aussi à Genève, échangent des lettres hebdomadaires. Les Zellweger et leurs représentants rendent visite aux imprimeurs, sélectionnent des motifs d'impression, passent des commandes à l'essai, se renseignent sur les prix et les conditions d'achat des étoffes.

La maison Zellweger possède un réseau de clients dense en France, en Espagne et en Italie. À la mort de Johannes Zellweger-Hirzel, le 21 février 1802, les Appenzellois déplorent la disparition d'un grand nom du commerce textile. Il laisse à ses héritiers une fortune de quelque trois million de florins.

       
 
  Déclin (et ressaisissemet momentané)

Vers la fin du XVIIIe siècle, des mesures protectionnistes françaises entravent de plus en plus le commerce des tissus imprimés.
En 1785, la France interdit les importations de coton blanc ou imprimé, ceci dans le but de favoriser les cotonnades françaises. Mais les Suisses paient déjà, depuis le 8 décembre 1768, des droits de douane pour certaines de leurs étoffes en lin exportées en France, et leurs balles de tissu doivent être estampillées (5). Les fabricants appenzellois appliquent les mêmes sigles sur leurs balles de mousseline, qu'ils exportent en France par le truchement de petits postes douaniers dans le Jura. Ce commerce clandestin profite du fait que l'industrie cotonnière française n'en soit qu'à ses débuts.

Le tissage du coton en Suisse orientale finit par succomber à l'industrialisation croissante. Les importations de fils anglais pour métiers à tisser font chuter les salaires des artisans suisses filant à la main. La main-d'oeuvre qui travaille à domicile se tourne alors vers d'autres activités textiles.

  À Genève, l'industrie des indiennes survit à la crise des années 1812 et 1813 car, depuis l'arrivée au pouvoir de Napoléon Bonaparte, la ville est sous régime français et donc privée des toiles de coton venant de Suissse. Grâce à un tarif douanier préférentiel, le commerce des produits neuchâtelois, acheminés vers l'Allemagne, survit plus longtemps. Entre 1807 et 1810, malgré la découverte de l'impression mécanique, les concurrences alsacienne et anglaise deviennent de plus en plus virulentes. Lorsque la Prusse se sépare der Neuchâtel en 1848, ce canton ne compte plus que deux fabriques textiles: la Fabrique Neuve à Cortaillod et les ateliers à Boudry, qui ferment respectivement en 1854 et 1875.

À Glaris, l'industrie de l'impression se ressaisit grâce à des marchands audacieux qui prospectent des marchés lointains. Néanmoins, dès 1870, le déclin se révèle inéluctable.

Notes:
1) Caspard, 1979, p. 46.
2) Schlaepfer, 1984, pp. 58 et suiv., 96 et suiv.
3) Bodmer, 1959-60, p. 46
4) Bodmer, 1959-60, p. 49
5) Hartmann, 1870, pp., 124-126


  Literature: in chronological order:
  - Hermann Wartmann, "Industrie und Handel des Kantons St.Gallen", St.Gallen 1870

- Leopold Iklé, "Vergleichende Daten zur Entwicklung der Mousseline-Weberei und -Stickerei", St. Gallen 1915

- U. Reich-Langhaus, Beiträge zur Chronik der Bezirke Werdenberg und Sargans, Laupen bei Bern 1929

- Walter Bodmer, "Textilgewerbe und Textilhandel in Appenzell-Ausserrhoden vor 1800", Appenzellische Jahrbücher, 1959, p. 3-75

- Walter Bodmer, "Die Entwicklung der Schweizerischen Textilwirtschaft", Zürich 1960

- P. Caspard, la Fabrique Neuve de Cortaillod, Paris 1979

- Béatrice Veyrassat, "Négociants et frabricants dans l'industrei cotonnière Suisse, 1760-1840", Lausanne 1982

- Walter Schläpfer, "Wirtschaftsgeschichte des Kantons Appenzell Aussrrhoden bis 1939", Gais 1984

  - Albert Tanner, "Das Schiffchen fliegt,- die Maschine rauscht", Zürich 1985

- Liliane Mottu-Weber, Anne-Marie Piuz, "L'économie genevoise, de la Réforme à la fin de l'Ancien Régime, XVIe .- XVIIIe siècles", Genève 1990

- Peter Witschi, "Das schwarze Haus am Glattbach", 1999

- Mathias Weishaupt, "Bande der Hochachtung und Liebe, elf Portraits der Familie Zellweger aus dem 18. Jahrhundert", Teufen 2000

- Pascale Gorguet Ballesteros, et al, "Le coton et la mode, 1000 ans d'aventure", editor: Musée Galliera, musée de la mode de la Ville de Paris, Paris 2000


 
Examples of printed cottons

from Textile Museum St. Gallen
   
 

 

 

 

 

 

 

 

       

content Last revised December 10, 2004